Dernier jour avant le jour J
L’atelier de calligraphie se tiendra demain et Samir continue de préparer
ses toiles, passe en revue l’accrochage, bouge certaines planches, réfléchit à
haute voix, parle tout seul, le tout dans une atmosphère très ludique pour tous…
Mais tout bien considéré, il me semble plutôt fébrile et épuisé.
Il ne sortira pas ce matin, il a besoin de repos, nous dit Mona.
Michel non plus ne quittera pas sa
chambre, mais pour d’autres raisons ; il prépare la conférence qu’il
donnera sur ce que la presse appelle le « Printemps arabe » et rassemble
les matériaux déjà réunis pour le reportage sur la Norvège qu’il publiera une
fois rentré à Beyrouth.
Nous voilà donc esseulées, nous les femmes, sans obligations d’aucune
sorte,
Et libres de nous occuper comme il nous plaît
Le temps d’une grande matinée…
Nous irons donc nous promener à Lillehammer.
Øyvind devait prendre sa voiture chez le mécanicien – une Honda rouge qui a
des problèmes de démarrage – et participer
à une émission de télévision dont le thème portait sur les épisodes de
télé-réalité et sur l’engouement des jeunes scandinaves pour ce type de
programmes.
Pour l’occasion, il avait fait quelques efforts pour soigner sa tenue
: un chapeau noir à larges bords, une chemise blanche, un pantalon de couleur sombre et un court manteau noir, des bottes hautes…
Avec ou sans chaussettes aux pieds ?
Je ne saurais trop m’avancer.
Quelles pouvaient donc bien être les raisons qui poussaient une partie de la
jeunesse norvégienne à se donner en
public dans des scènes ordinaires de la vie quotidienne, jusqu’aux plus intimes
et privées ou à tenir à en être témoin ?
Pourquoi ce type d’émissions que sociologues et psychologues de Norvège et
d’ailleurs s’entendent à qualifier de
« poubelle »,
« pure exhibition de chair fraîche et
de pulsions qui offre un spectacle pitoyable »
« métaphore du monde global où ce qui est mis en scène, c'est la
jetabilité, l'interchangeabilité et l'exclusion »
ou encore de « banalisation du banal »,
Pourquoi donc ce type d’émissions attire-t-il tant d’adeptes, de
producteurs et de défenseurs ?
Nous en avons discuté en chemin et je me souviens que nous avons beaucoup
ri avant de conclure, puisque nous arrivions à destination, qu’exhibitionnisme
et voyeurisme étaient les deux faces d’un même souci de visibilité et de
curiosité d’érotisme qui préoccupe les jeunes et les ados notamment mais pas
seulement …
Øyvind nous a déposées devant la municipalité de Lillehammer et nous avons alors
erré dans les ruelles de l’ancienne ville et autour du musée pendant de longues
heures, à la recherche de cadeaux typiques pour la famille et les amis.
Beaucoup de choses attirantes dans les devantures des magasins mais à des
prix malheureusement très élevés…
Anna et Amanda nous ont rejointes un peu plus tard
Anna est grippée, elle a de la fièvre mais tenait à nous retrouver.
Amanda semblait un peu triste, pensive et ailleurs, besoin de réfléchir à
haute voix peut-être, et d’en discuter avec Anna sans doute….
Nous avons continué nos pérégrinations et notre recherche du cadeau sublime
…
Le temps était instable.
Entre deux averses, le soleil se mettait à briller et puis s’éclipsait à
nouveau ...
Sur la place devant la mairie, des dizaines de fleuristes et d’herboristes
avaient monté leurs tréteaux, et tendu un auvent de toile pour protéger des
intempéries les fleurs et les plantes, les étals de fruits et les pots d’épices…
Nous avons acheté un pot de persil et un autre de menthe. Ici, ce type de
plantes est vendu empoté, avec sa terre.
Øyvind est revenu, la voiture est réparée. L’émission a été très plaisante,
nous a-t-il dit, sans plus. Il en riait encore.
Anna et Amanda ont repris le bus pour rentrer chez elles et nous sommes retournés
à Øyer, l’après-midi
finissant.
Il pleuvait toujours, la maison était enveloppée de brume, tout était
silencieux, rien n’avait bougé dans la cuisine où nous avions l’habitude de
nous tenir la plupart du temps…
Mais qu’étaient donc devenus Michel et Samir ?
Les hommes étaient toujours retranchés chacun dans sa chambre, Samir mi-boudeur,
mi-soulagé d’avoir été esseulé la journée durant, et Michel en train d’écrire. Je
crois même que l’un et l’autre ignoraient qu’il y avait quelqu’un d’autre dans
la maison….
Mais tous deux ont vite fait de s’habiller et de nous rejoindre dans la
salle commune dès que nous nous sommes manifestés …
Nous avons préparé le repas, puis lavé à grande eau et équipé deux chambres
pour les trois invitées qui devaient
passer le week-end avec nous.
Une autre amie d’Øyvind,
Anna Maria, devait nous rejoindre dans la soirée et Bjarne s’était chargé de la
ramener de Lillehammer où elle devait débarquer tard dans la soirée. Elle devait venir par avion de Bergen, à l’ouest
de la Norvège, prendre le train à partir d’Oslo jusqu’à Lillehammer où Bjarne
l’attendrait. Toute une organisation qu’Øyvind avait mise sur pied et un très long trajet pour Anna-Maria …
Ces tâches terminées, nous avons attendu tranquillement la venue d’Ebba et
d’Elbjorg ainsi que celle de Bjarne et Anna Maria, tout en mettant les
dernières touches à l’atelier de calligraphie, accrochant les planches que
Samir avait conçues et calligraphiées durant ces quelques jours, disposant les
tables de travail et le matériel de calligraphie à l’usage des apprentis
calligraphes. L’ambiance était très agréable, concentrée, chacun y mettait
beaucoup de cœur et toutes ses facultés.
Arrivée tardive et sous la pluie des invitées tant attendues.
Ebba conduisait malgré ses difficultés articulaires qui la faisaient
souffrir, disant que sa « partie rhumatismale » souffrait, certes, de
l’intrusion persistante du mauvais temps et de la pluie en cet été 2011 mais
que, « Rassurez-vous. J’ai d’autres parties qui se portent très bien ».
Elbjorg était exubérante et d’excellente humeur. Elle restait fraîche et
dispose malgré toutes les tribulations d’une longue journée de voyage par remps
de pluie.
Discrète et réservée Anna Maria, finalement arrivée, est une longue jeune
femme aux cheveux bruns, sans doute la plus jeune de tous les occupants de la
maison d’Øyvind ce soir-là.
Ambiance de joie et d’intimité pleine de rires, de commentaires intelligents,
d’amitié et de créativité ; beaucoup d’entente et d’harmonie entre tous, bien
que Samir et Mona rencontraient Ebba et Elbjorg pour la première fois…
Quant à Anna Maria, à l’exception d’Øyvind, personne ne la connaissait auparavant. Elle était une découverte
pour nous tous.
Dîner traditionnel norvégien, sous la lumière des bougies qui font désormais
plaisir à tout le monde, une pratique que personne n’a eu de difficulté à adopter...
Øyvind avait concocté un plat typiquement norvégien, agneau – pommes de
terre – chou accompagnés d’une sauce pimentée, le tout rythmé par
d’innombrables toasts et souhaits prononcés au cours du repas, toujours aussi
créatifs et souvent farfelus.
Øyvind et Anna Maria dans la cuisine d’Øyvind, une fois la vaisselle terminée, les assiettes et autres plats séchés et rangés, les détritus prêts à être emportés...
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